Cas 2: « Venise »

Du cheval qui balance son cavalier à celui qui gagne en concours de dressage, en six semaines

*nb: Les noms ont été changés pour préserver, dans la mesure du possible, la confidentialité des propriétaires

Mon travail a été supervisé par une vétérinaire pratiquant l’ostéopathie et la physiothérapie équine.

1. Présentation: contexte et demande

fascias postérieur
Le genou et le jarret sont fonctionnellement liés. Si les fascias inhibent le libre mouvement de l’un, cela entrave le fonctionnement de l’autre: la jambe se raidit considérablement

Venise, hongre de race selle français (env. 1m70 au garrot) est né en 2009, il a 15 ans quand je le rencontre pour des séances, il a passé environ dix années de sa vie dans ce lieu. Il vit dans un box la majeure partie de l’année. Il est travaillé en dressage et en saut d’obstacle.

Ce qu’on me dit de Venise:

  • tendinites à répétions, la dernière au postérieur gauche il y a quelques mois courant 2024
  • des « ruades » lors de la transition au galop, qui font souvent tomber des cavaliers
  • raideur importante
  • globalement des problèmes au niveau de la locomotion / biomécanique

Le cheval présente un grand nombre de signes de l‘épuisement de la capacité de portage. (cf. aussi le cas d’Athos).

Ma superviseuse me dit après avoir visionné la video de la roulade, la manière dont le cheval se lève après s’être roulé : il manque de force au niveau du postérieur gauche. Et: « La queue va plus vers le côté droit lorsqu’il trotte » (vidéo « avant » / trot); cf. aussi partie sur les muscles médiales et l’innervation dans la partie « Cibles du travail » ci-dessous.

2. Photos avant – après

Les photos avant-après sont séparées d’environ 6 semaines, celles du haut ont été prises avant la 1ère séance et celles du bas après la 6ème séance. Je précise que le cheval continue à faire 3 reprises par jour chaque jour, avec des cavaliers de niveaux différents.

Photos « avant »: j’ai fait le choix de laisser le cheval se positionner comme il le veut, naturellement (position de tête / encolure et pieds). En ce qui concerne les photos « après », je n’ai pas pu en faire: j’ai fait des captures d’écran des videos pas et trot. Ce n’est donc qu’un petit aperçu visuel faute de mieux, les vidéos sont plus parlantes sur l’évolution du cheval je pense. Les vidéos avant-après ci-dessous (septembre et *update décembre 2024) permettent de mieux voir les progrès.

*Update « Venise », fin décembre 2024:


3. Cibles du travail

La trajectoire de la ligne myofasciale superficielle dorsale (la « SDL »)

J’ai fait 6 séances avec lui, dans lesquelles l’accent était mis sur les points suivants.

Axes de travail : massage-physio et relâchement myofascial, mobilisation des articulations des jambes, étirement des lignes myo-fasciales, traitement de la cicatrice de castration et alentours, innervation de la partie postérieure du cheval

Similaire au 1er cas, relâchement de l’ensemble de la ligne dorsale myofasciale superficielle (ou la superficial dorsal ligne, la « SDL », cf. ci-dessous, donc de la nuque jusqu’au tendon du postérieur/sabot, explications sur les fonctions et les symptômes de la SDL en bas de page), détonifier les muscles hypertones de la croupe; jambes antérieures et postérieures: muscles, articulations, fascias (adhérences), étirements de l’ensemble de la chaîne myofasciale liée, etc.

Un accent particulier a été mis sur les muscles médiales, c’est à dire le côté intérieur des cuisses, le sartorius, le gracilis etc. Des nerfs importants traversent cette région. De même, travail axé sur l’iliopsoas. Et au délà, j’ai travaillé toute la zone de et autour de sa cicatrice de castration: de séance en séance, Venise montre clairement qu’il est intéressé par ce travail, que cela lui fait du bien.

Alors qu’il ne se secoue pas après la roulade (pour le moment, cf. vidéo ci-dessous), il s’est secoué très fort 2 fois lors de ce travail. On n’a que peu de données de qualité sur le nombre d’hongres concernés par des problèmes de cicatrice de castration, mais selon certaines sources cela concernerait tout de même 30% à 80% des hongres (source: Renate Ettl « Manuelle Pferdetherapie »).

Au début du travail, le tissu à proximité de la cicatrice est très froid, forme des poches vers l’intérieur. Il commence à transpirer fortement à cet endroit (scrotum) lors du travail et écarte les jambes tout en les plaçant plus en arrière, comme pour s’étirer. Le cheval montre nombreux signes de release en travaillant toute cette zone intérieure, alors qu’en ce qui concerne les jambes, j’avais du mal à obtenir qu’il accepte d’être touché.

Orientation des différents couches des fascias du postérieur du cheval: lorsqu’il y a des adhérences et des muscles hypertones, cet ensemble myofascial raidit considérablement les jambes et empêche le mouvement physiologique: le cheval bouge comme s’il avait une manche à balai à la place des jambes

Les jambes, surtout postérieurs: compte tenu de la problématique de tendinite, de la ligne superficielle dorsale très tendue, raccourcie, les muscles de la croupe hypertones, il fallait travailler la ligne superficielle dorsale dans l’ensemble, comme préconisé par Schultz et al. (cf. extrait ci-dessous sur le lien entre muscles dorsales hypertones et tendinite: « In patients with tendon problems it makes sense to treat the Superficial Dorsal Line« ).

En ce qui concerne l’orientation des fascias du postérieur du cheval, les différentes couches sont orientées dans toutes les directions (horizontale, verticale, et diagonale). Il en résulte une traction en spirale qui changerait d’orientation au niveau des articulations.

Cela donne de la stabilité et augmente la mobilité lorsque les fascias sont en bonne santé et mobiles, sans adhérences, mais si cela n’est pas le cas, cet ensemble forme un système de « bandages » serré autour de la jambe, qui entrave considérablement la mobilité de toute l’extrémité et la raidit: Le mouvement devient saccadé, l’amplitude est fortement réduite (comme dans une combinaison de plongée trop petite).

L’hypertonus des muscles ailleurs, en amont, sur la chaîne myofasciale peut contribuer aux problèmes des tendons. Et inversement l’impulsion qui n’est pas absorbée par une musculature bien développée charge les tendons et les articulations, ce qui contribue aux compensations (mouvements et postures de compensation): C’est un cercle vicieux qui va dans les deux sens (et auquel il faut probablement rajouter la problématique de la cicatrice de castration).

L’objectif du travail était donc aussi d’améliorer le fonctionnement des postérieurs de ce point de vue là. Mais le cheval met du temps à faire confiance, surtout la jambe qui souffrait de tendinite dans l’année (en plus des deux séances interrompues avant de pouvoir travailler là dessus). Le diapason m’a permis d’avancer vers la fin des séances (5è et 6è). Il reste du travail de ce coté là: on peut aller plus loin (cf. video « après » ci-dessous).

Encore une fois, et ma superviseuse insiste là-dessus: les problèmes des tendons, ce sont toujours des problèmes musculaires (cf. article; sauf en cas de blessure mécanique, par exemple accident qui blesse ou coupe le tendon). Elle appelle le tendon le morceau de scotch avec lequel la nature attache le muscle à l’os: le tendon en lui même n’est donc pas très élastique et mal-vascularisé, il peut difficilement absorber des forces qui l’impactent. Il en résulte que le muscle doit être capable de résorber les forces.

Et si le muscle ne parvient pas à resorber les différents impacts et chocs (par exemple parce qu’il présente un hypertonus) cela entrave et fragilise le tendon qui subit des microfissures. Le corps répare ces fissures – et tout ce que le corps doit réparer, il le rend plus solide : ce qui fait se développer du tissu cicatriciel. Mais ce dernier est encore moins élastique (en plus des adhérences faciales / cross-linking fascial pathologique, etc. Cf. image ci-contre: le tissu sain ressemblerait schématiquement à l’image du haut, le tissu pathologique à celui du bas).

Il n’est donc plus qu’une question de temps de se retrouver avec la prochaine blessure. La seule chose qui aide, ce sont les mobilisations passives, l’amélioration de la circulation et le renforcement musculaire.

Je précise que je n’ai pas eu accès à une source d’eau chaude dans ce lieu, ce qui aurait pu accélérer, aider le travail. Ni au dossier médical, malgré ma demande.

4. Vidéos avant – après

Avant (6 sept. 2024)

On voit bien la raideur surtout des postérieurs, la faible flexion des articulations et les mouvements saccadés, non physiologiques, et la faible amplitude qui en résulte

Après (11 oct. 2024)

Petit problème technique avec le téléphone: pas de vidéo de la locomotion au pas et au trot sur sol dur. Voici une en liberté sur sol mou.

Le cheval est mieux dans son corps: amplitude et locomotion sont améliorées, meilleure flexion des articulations des postérieurs, mais il reste clairement du travail: c’est ‘work in progres’. (nb. Les videos sol dur versus sol mou sont en général difficilement comparables, mais les personnes connaissant le cheval confirment ces améliorations).
Vidéo roulade

Sa locomotion est améliorée. La manière de sauter sur ses pieds après la roulade montre toujours une faiblesse au niveau du postérieur gauche.

Quant à son rituel de roulade – idiosyncrasique : c’est le même pratiquement depuis que je le connais (plusieurs années, j’ai 5 vidéos pratiquement identiques de ces roulades). Pourquoi il fait ça n’est pas tout à fait clair alors que j’ai montré cette video à plusieurs professionnels (vétérinaire / physiothérapeute équin / éthologue équin) dans plusieurs pays.

Cela peut être en lien avec un problème au niveau de la hanche, ou du fonctionnement de la ligne Superficial Dorsal Line qui passe près de l’ischion, qu’il semble presque se frotter (cf. ci dessous). Il peut aussi conserver un inconfort, peut être au niveau de l’innervation, et essaie de s’en débarrasser, un peu comme on a envie de bouger une partie du corps qui a des fourmillements ou qu’on s’est cogné. Il peut même avoir gardé l’habitude alors que le problème initial a disparu, parce qu’il se sent bien en le faisant.

*Update décembre 2024

Environ 3 mois après la première séance : le cheval s’est visiblement arrondi, la ligne dorsale est mieux musclée maintenant, sa locomotion s’est améliorée, il se place « au carré » naturellement plus souvent, il se roule facilement des deux côtés, saute plus facilement sur ses pieds après la roulade et se secoue entièrement à chaque fois : il est clairement mieux dans son corps

Si le cheval est un « chef de troupeau » pas très « confiant », il va souvent se tenir avec l’encolure et la tête en position haute, ce qui rend parfois difficile la modification du tonus des muscles notamment du haut de l’encolure (cf. fin de la vidéo ci-dessus).


Fin février 2025

Je change le programme du cheval suite à un problème de santé. Après cette séance axée sur le bassin et les diaphragmes, le cheval a davantage envie de bouger en liberté, et se sent visiblement mieux:


Conclusions (d’octobre 2024)

Sur le plan physique

  • Le cheval ne fait plus de ruade au départ au galop, il semble plus beau, mieux dans son corps
  • 6 semaines après la 1ère séance il part en concours de dressage et il gagne: Venise termine premier. On me raconte: « il était magnifique »
  • Amélioration visible de la biomécanique, les postérieurs sont moins figés, meilleure flexion, protraction etc. (mais travail à poursuivre)
  • Développement musculaire amélioré. Le massage améliore le métabolisme et la circulation au niveau du muscle, ce qui favorise un meilleur développement musculaire, comparé à un muscle en hypertonie avec une mauvaise circulation sanguine. Les séances de massage-physio devraient aussi l’aider à développer la force qui manque encore actuellement au niveau du postérieur gauche (membre affaiblie par la tendinite dans le passé?)
  • Contraction / « raccourcissement » de la ligne dorsale : une amélioration, qui favorise aussi, via les chaînes myofasciales, une meilleure locomotion

Comme j’ai dit plus haut, compte tenu du fait que je n’ai pas pu terminer le travail de 2 séances et compte tenu aussi de la résistance du cheval pendant les 1ères séances, on peut encore optimiser ces résultats (par ex. il a toujours du mal à placer les postérieurs suffisamment en direction du point de gravité).

Le cheval montre toujours un épuisement de la capacité de portage. Je pense que la queue pointe moins vers le coté droit maintenant, elle doit être plus centrée. Mais à confirmer, mon focus était sur les extrémités et leur fonctionnement physiologique ainsi que les chaînes myofasciales en amont dans une perspective de prévention de récidive de la tendinopathie et d’une amélioration de la locomotion.

Sur le plan mental« on bouge comme on se sent, et on se sent comme on bouge »: le embodiment

Venise a commencé à montrer un comportement « d’étalon », il s’intéresse aux juments présents quand il est travaillé : on me dit qu’il fait des tentatives de leur monter dessus en reprise depuis le début des séances. Comment se l’expliquer?

La castration ne neutralise jamais totalement le fait d’être un mâle. Quand un cheval est mieux dans son corps, il devient souvent plus confiant, moins léthargique, plus optimiste, plus curieux, ouvert et intéressé au monde autour de lui.

Habiter un corps moins raide, moins mal, moins douloureux – c’est un retour à la vie, ce qui a un effet évidemment sur son mental, sur ce qu’il exprime de sa personnalité. Aujourd’hui quand je l’ai amené dans le manège, les mini-shets sortaient de ce manège : en les voyant Venise redresse la queue vers le ciel, commence à trottiner sur place, il avait envie de jouer avec eux je pense.

Plus un cheval se sent bien dans son corps, plus cela influencera de manière positive son « embodiment » (cf. définition ci-contre), ou comment ce dernier s’exprime, se montre. Autrement dit, on aura l’expression par exemple d’une confiance amélioré si le ressenti dans le corps le permet à un moment.

Le cheval s’anime, retrouve une vitalité perdue, il devient plus « brillant » comme on dit – par exemple en étant plus expressif, avec des mouvements qui ont plus de rebond – ce qui peut clairement faire gagner des points en concours de dressage.

Le brillant rend plus beau un cheval qui a une bonne conformation à la base, mais il rend plus harmonieux aussi les chevaux qui, par leur conformation, ne sont pas considérés « beau » en soi.

Et on n’est capable de jouer, de se pavaner, de flirter, que si on se sent suffisamment en sécurité. Et un animal de proie ne va pas se sentir en sécurité tant qu’il ne se sent pas bien dans son corps. Parfois les chevaux montrent des comportements qui nous gênent mais qui sont malgré tout le symptôme d’un mieux-être.

Autrement dit, plus le bien-être du cheval s’améliore, plus il va montrer des comportements affiliatifs (pro-sociaux), par exemple jeux, toilettage mutuel (« allo-grooming »), « flirt », proximité, qui traduisant l’établissement de nouveaux liens sociaux aussi. Et moins de douleurs, c’est moins de stress, et plus de bien-être. Et une séance de massage-physio pratiqué en mode « dialogue », c’est en soi déjà une expérience de relation positive qui se développe.

Et inversement, on se sent tout détendu, voir un peu dans les vapes, après un massage, il est évident qu’on a moins envie de bouger, c’est pour cela que cela me fait toujours un peu mal au coeur quand les chevaux sont montés juste après la séance. Et forcément on va me dire ensuite « il était un peu mou au départ mais sinon très bien »…

Cf. aussi le post de Dr. Arielle Schwartz ci-dessous, sur le lien entre fascias et système endocrinien.

Il faut juste cadrer le cheval avec tact, être présent en tant que cavalier, l’occuper et le canaliser sur autre chose, cela devrait suffire.

D’autres articles sur les interactions entre le corps et le mental:

5. Recommandations / propositions d’axes futures du travail

Vu les réticences du cheval à se laisser travailler les postérieurs dans les 1ères séances, et compte tenu du fait qu’en séances 4 et 5 je n’ai pas pu faire de travail sur les postérieurs (le cheval était amené en reprise avant que je puisse terminer le travail ou le lâcher en liberté), il faudrait aller plus loin de ce côté là, essayer d’obtenir vraiment le maximum d’amélioration qu’on peut obtenir au niveau de la locomotion, de la mobilité surtout des postérieurs, puisqu’il est mieux et davantage prêt à se laisser travailler aujourd’hui aussi au niveau des parties ou il montrait le plus de réticences.

Améliorer le tonus des muscles de l’épaule / mobilité.

Le cheval bénéficierait évidemment de tout le programme décrit dans le cas 1 (Athos)

Et dans son cas particulier le labyrinthe de barres et avancer et reculer sur une barre au sol, pourraient lui faire du bien.

Vérification fonctionnement hanches: au vu de la roulade et de son fonctionnement locomoteur il peut être utile de faire vérifier la hanche gauche

Ressources – pour aller plus loin

Comment protéger les jambes d’un cheval, en particulier en cas de tendinite à répétition

Comment prévenir les troubles des tendons?

Managing Gelding Scars: Insights from Three Cases in My Practice

Illustration des fascias du postérieur du cheval et explications : extrait de Salomon & Salomon « Pferde-Osteopathie » Thieme

Wiki pour la définition d’embodiment

The Superficial Dorsal Line – SDL | Equine Myofascial Kinetic Lines (Schultz, Due, Elbrond 2021)

DR-Arielle-schwartz-fascia-720x1024
DR-Arielle-schwartz-fascia-720×1024

G. Higgins « Posture, performance, principles of training », extrait :

Partager :