Par Regina Koehler, equine body worker, psychologue clinicienne
L’article ci-dessous vise à explorer pourquoi un équidé développe un trouble comparable à la dépression chez l’humain, les pistes thérapeutiques et aussi en quoi des pratiques comme le « body work » / les massages etc. peuvent être bénéfique, tout comme les activités en équithérapie qui associent le cheval comme partenaire égal, avec des droits et des libertés et aussi le « groundwork », le travail au sol. Ces pratiques ont en commun de pouvoir rééquilibrer la balance des émotions en faveur des émotions positives, là où il y avait glissement dans un affect négatif, déprimé, pouvant être considéré comme un déficit d’émotions positives par rapport aux émotions négatives.
Autrement dit, là où il y a stress, le body work, les massages peuvent apporter relaxation, détente. Là où il y avait solitude, le travail au sol et les massages peuvent apporter la possibilité de lien et de dialogue, là où il y avait ennui, toutes ces pratiques, massages, travail au sol (ou des activités comme l’équithérapie par exemple) apportent nouveauté, stimulation, distraction, apprentissage, à condition d’être pratiqués dans un esprit de partenariat, de respect et de dialogue. Cf. aussi Le massage comme traitement de la dépression équine et les ressources sur le « grooming », ou le pansage fait avec « intention ».
Quelles sont les causes de la dépression chez l’équidé ?
Selon Krüger et al., les chevaux peuvent entrer dans un état proche de la dépression lorsqu’ils sont dans un « état d’esprit » négatif (Fureix et al 2012, cf. ci-dessous). Celui-ci peut avoir des causes très diverses.
La cause principale est un stress chronique de longue durée. Ce stress survient par exemple lorsque la détention et les besoins fondamentaux ne sont pas suffisamment satisfaits, en raison de douleurs chroniques, d’un entraînement non adapté au cheval, etc.
Il s’ensuit donc un déséquilibre entre émotions négatives et positives, les symptômes de la dépression apparaissent.
Selon D. Ciolek : « La tristesse et la léthargie permanentes d’un cheval, qui se transforment parfois en agressivité, peuvent vraiment avoir de très nombreuses causes.
Certains chevaux ne dorment pas assez ou ne reçoivent pas assez de nourriture de qualité, d’autres sont privés d’un copain qu’ils aiment. D’autres encore ne se sentent pas à l’aise dans le type de détention que l’homme leur a attribué. Il peut s’agir d’une détention dans un box étroit sans contacts sociaux réguliers et sans beaucoup d’exercice ou d’une détention dans une écurie ouverte mal entretenue/gérée avec une composition de troupeau changeante et trop peu d’espace. Trop peu de place pour les mangeoires, pour les couchettes, pour boire, pour se protéger des intempéries.
Ou alors, ils étaient un « cheval d’un seul homme » et sont soudain montés par de nombreux cavaliers différents. Cela peut arriver avec des chevaux d’école. J’ai déjà vécu une situation similaire avec un cheval espagnol qui avait été monté et formé par un homme en Espagne et qui a ensuite été acheté par une femme. En fait, il ne savait pas s’y prendre avec les femmes. Il était seulement heureux de voir un homme. Une castration tardive était un facteur aggravant.
Ou bien les chevaux ont été harcelés en permanence, dans le troupeau ou par les hommes.
Ou ils ont été montés d’une manière qui les a rendu amère, renfermé, cela existe malheureusement dans toutes les disciplines.
Ou leur volonté a été brisée par la violence, ce qui est particulièrement tragique.
Ou ils souffrent d’une douleur chronique, de douleurs de l’appareil locomoteur, au niveau de la tête ou du ventre ou du dos.
Ou bien ils ne supportent pas la nourriture qui leur est proposée ou celle-ci est largement insuffisante. »
Comment reconnaître la dépression chez l’équidé : les symptômes
Cependant, avant que les chevaux ne glissent vers la dépression, on observe souvent d’autres comportements indésirables et problématiques, comme des réactions de défense et une agressivité excessive.
Si l’on ne prête pas attention au cheval et que l’on passe outre les signaux d’alarme, les chevaux abandonnent, se replient sur eux-mêmes, comme les personnes dépressives, et n’ont que peu ou pas de contact avec leur environnement (Krüger et al.).
Krüger et al. citent l’étude de Fureix et al de 2012 (ci-dessous), selon laquelle les équidés dépressifs se comporteraient de manière similaire que les humains dépressifs (recherche faite avec des chevaux de centre équestre).
Selon cette étude, 24% des chevaux montreraient des signes dépressifs (les juments et les chevaux de selle française seraient surreprésentés parmi les chevaux dépressifs ayant fait partie de l’étude).
Les comportements qui indiqueraient la présence d’un état dépressif
– Les 4 jambes du cheval sont parallèles et l’encolure allongé en avant, cf. « withdrawn posture » ci-dessous (Cf. les images dans l’étude Fureix et al., lien ci-dessous)
– dans le box : visage orienté vers le mur
– apathie
– mouvement des yeux / d’oreilles réduit malgré la présence d’humains ou d’autres évènements dans l’écurie
– position des oreilles latérale sur la tête
– pas de tentative de chasser les mouches, avec la queue par exemple
– manger des quantités réduites par rapport à son habitude
– sur-réactions / réactions fortement émotionnelles par rapport à l’événement / les difficultés se présentant à lui
Le cheval triste
« De temps en temps, nous remarquons des chevaux qui semblent véritablement déprimés. Ils semblent durablement repliés sur eux-mêmes, sans joie, ne réagissent guère aux contacts, n’établissent guère de contacts amicaux avec leurs congénères et présentent parfois un visage douloureux, tendu. Ils ont perdu l’envie de bouger, ont souvent un poids plutôt faible et sont difficiles à motiver. D’autres sont de « mauvaise humeur », irritables voire agressifs. Toutes ces choses sont toujours un signal d’alarme et un très fort appel à l’aide. » (Ciolek)
Comment soigner la dépression chez l’équidé
Selon Krüger et al., la thérapie de la dépression chez l’équidé requiert beaucoup de patience, et de connaissances pour les besoins de chaque individu et son comportement d’apprentissage.
Quelques étapes citées par les auteurs
Au départ, un bilan vétérinaire approfondi afin de diagnostiquer d’éventuels douleurs ou d’autres souffrances en lien avec des maladies, si besoin démarrer les thérapeutiques appropriés
Si le cheval n’a pas de problème physique, les conditions sont bonnes pour la thérapie de la dépression
Selon les auteurs, les besoins de base doivent en principe être respectés (cf. les « 5 freedoms »):
« La liberté de faim ou de soif (1), d’inconfort(2), de douleur ou de blessure ou de maladie (3), la liberté de stress et de peur (4), la liberté de pouvoir adopter un comportement normal (en termes de mouvement et d’interactions avec des congénères)(5) »
Le groupe de chevaux doit être harmonieux (absence de conflits) et les équidés doivent pouvoir se distancier les uns des autres (espace suffisent) : condition pour un repos suffisant.
Si le cheval a pu se reposer dans ce type de contexte favorable, on peut recommencer l’entraînement.
L’idéal sont des entités et des leçons qui génèrent des émotions positives chez le cheval
Il peut être intéressant de trouver d’autres méthodes et types d’entraînements etc. nouvelles : qui n’ont donc pas encore d’association négative chez le cheval.
Si l’humain investit dans ce type d’expérience nouvelle avec des renforcements positifs (encouragements par la voix, les caresses, ou des aliments/friandises) il peut faire apparaître un etat d’esprit plus positif. Les auteurs mentionnent par exemple le clicker training, qui travaille avant tout avec le renforcement positif.
Les représentant de la EBA, la Equine Behavior Affiliation, mon institut de formation en Grande-Bretagne, ne privilégient pas le renforcement positif mais le modèle bio-psycho-social, avec un fort accent mis sur la qualité de la relation. Notre travail va aussi au delà des « 5 Freedoms » ci-dessus, qui concerne le niveau des besoins de l’espèce en général, pour s’intéresser aussi aux besoins spécifiques de tel ou tel individu en particulier.
Que peut-on faire ?
« Tout d’abord, un vétérinaire doit examiner le cheval de manière approfondie et effectuer une analyse de sang afin de ne pas passer à côté d’indices de maladies. Le traitement des sabots et tout le matériel devraient également être examinés de près.
Ensuite, on ne peut qu’essayer d’optimiser les conditions de vie du cheval pour que LE CHEVAL se sente bien. Cela peut très bien différer des idées du propriétaire. Comme le cheval peut se passer de nous pendant plus de 20 heures par jour, cet aspect est très important.
Et puis, une approche vraiment amicale, chaleureuse, de l’homme avec ses chevaux est extrêmement importante. De féliciter aussi pour les petites choses. Faire des choses simples ensemble. Faire des choses totalement différentes de celles auxquelles le cheval associe des choses désagréables.
Il est possible de faire des numéros de cirque très simples, des randonnées ou des promenades en bonne compagnie, c’est-à-dire avec un cheval que le cheval aime bien, et de faire des choses auxquelles il n’était pas habitué jusqu’à présent. Un parcours de trail ou de l’équitation de travail. Et tout cela en commençant tout petit et avec beaucoup de compliments. Et aussi avec des renforcements alimentaires à doses raisonnables. Pour que le cheval associe à nouveau des choses positives à l’homme. Des massages doux peuvent également être une idée et, en principe, donner directement les aliments concentrés ou le mash par l’homme. Il est également possible de se détendre ensemble, de s’asseoir avec le cheval et de lire un livre. Partager une pomme ensemble. Des choses très simples.
Le contact avec certains enfants (calmes, doux, affectueux) ou d’autres espèces animales peut également être un accès au cheval en dépression. On peut et on doit faire preuve d’imagination.
Ainsi, vous parviendrez peut-être à améliorer l’humeur du cheval et donc à augmenter sa joie de vie. Car c’est aussi notre devoir. Encourager les chevaux à se sentir bien dans leur corps et dans leur tête ! » (Ciolek)
© Regina Koehler 2023
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Prof. Dr. Konstanze Krüger, auteur de « Forschung trifft Pferd – Neueste Erkenntnisse für ein besseres Verständnis“, son site web en anglais: https://equine-behaviour.de
“Towards an Ethological Animal Model of Depression? A Study on Horses »
Dagmar Ciolek, auteur de l’ouvrage « 135 Mythen der Reitlehre »