La santé mentale est définie comme un état de bien-être dans lequel un être peut se réaliser, surmonter des tensions normales de la vie, accomplir une activité positive : chez l’humain comme chez l’équidé, elle est la base de la résilience.
Pourquoi s’intéresser à la santé mentale du cheval?
Parce qu’un cheval qui ne va pas bien mentalement aura du mal a bien fonctionner dans le monde, avec l’humain et dans le travail. Sa capacité à réguler ses émotions va être réduite. Il aura du mal à s’adapter au changement, et à faire face aux difficultés qu’il rencontre. Sa capacité à être résilient dans une situation de stress « normal » sera réduite. Le stress a un impact sur la santé immunitaire, la santé du système cardio-vasculaire, la capacité à tolérer la douleur, la longévité, etc. Voir aussi Le troubles du comportement équin et le Trigger Stacking.
Une bonne santé psychique est essentielle à la santé en général, elle est donc étroitement liée à la santé physique.
Tout au long de la vie de l’équidé, différents éléments peuvent influencer sa santé mentale. Veiller à leur équilibre favorise une bonne santé. Elle est largement influencée par le contexte, l’environnement, les expériences de vie, l’hérédité etc.
La santé mentale, la souffrance et la maladie ne sont pas des états figés dans le temps. Ils se modifient tout au long de la vie.
La santé psychique est un défi constant d’une recherche d’équilibre entre les différents facteurs qui peuvent l’influencer. Chaque nouvelle situation de vie peut la déstabiliser.
Facteurs qui peuvent influencer la santé psychique d’un équidé : sa santé physique, ses conditions de vie, de travail (y compris son équipement), son alimentation, les relations avec les autres équidés et l’humain, etc. (cf. ci-dessous).
Pour évaluer les chances d’un animal de disposer d’une bonne santé mentale, un bon (mais insuffisant) point de départ est le concept des 5 libertés fondamentales, crée par le Farm Animal Welfare Council en 1979 (cf. ci-dessous). Selon le cadre légal de chaque pays, le niveau de prise de conscience et de formation (en France, l’IFCE fait un bon travail de vulgarisation) etc., la vie des équidés correspondra plus ou moins à ces 5 libertés.
Elles constituent donc une première grille de lecture pour comprendre la situation d’un équidé qu’il soit en détresse ou non. Mais elle est en soi à la fois insuffisante et pas totalement pragmatique : dans beaucoup de cas il sera impossible d’assurer à court terme une vie totalement en accord avec les préconisations découlant de ces 5 libertés et à l’abri de souffrance psychologique ou de douleurs par exemple.
De la même manière qu’un salarié de bureau ou d’usine pourra avoir des troubles musculo-squelettiques etc., ces problèmes ne doivent pas être considérés comme une fatalité dans l’absolu chez l’équidé: on cherchera à améliorer les conditions de vie et de travail des équidés là où c’est réaliste et pragmatique d’atteindre des améliorations – à court, moyen et long terme.
Mais les 5 libertés ne constituent qu’un niveau général – concernant l’espèce dans l’ensemble – de facteurs de bien-être et de santé mentale (welfare en anglais).
Il faut les compléter avec une grille de lecture permettant d’évaluer aussi les facteurs individuels de bien-être (ou wellbeing en anglais), surtout psychiques. Ces derniers seront évoqués dans une 2è partie, en dessous des 5 libertés.
I Quelles sont ces 5 libertés fondamentales ?
Il s’agit de ces catégories, je les ai complétés avec quelques questions qui me sont venues à l’esprit, à titre d’exemple.
1 Ne pas souffrir de la faim ou de la soif – l’alimentation
Quel type d’aliment fonctionne pour quel équidé et à quel rythme (combien de foin donné / jour etc.) ? Peut-on transformer chaque équidé (qui est une espèce herbivore à la base) en granivore ? Quels sont les facteurs de risque pour quel type d’équidé (trouble du comportement en lien avec un microbiote intestinal modifié par une alimentation riche en amidon – des céréales – et faible en fibres, coliques, ulcères etc.) Lien entre alimentation et comportement
2 Ne pas souffrir d’inconfort
Condition de travail monté, quelles approches ? comment évaluer la qualité du travail monté (dressage / saut d’obstacle etc.), que dit le corps des équidés? ses muscles que nous disent-il du travail qu’on demande au cheval? comment évaluer si nos pratiques équestres sont-ils à jour et durables (durée de vie active du cheval, performance, périodes d’arrêt pour maladie, coûts des traitements vétérinaires/réhabilitation etc.) ? peut-on cibler des améliorations au niveau musculo-squelettique assez rapidement avec des petits changements au niveau des pratiques équestres ? de l’équipement ? de travail sur l’équilibre etc. du cavalier ? Evaluer si le cheval a mal au dos
3 Ne pas souffrir de douleurs, de blessures ou de maladies – prévention, diagnostic rapide et traitement
Là encore, au niveau de l’équipement, du travail et de l’alimentation etc. beaucoup de marge de manœuvre de mon point de vue.
4 Pouvoir exprimer les comportements naturels propres à l’espèce – espace suffisant, contact avec d’autres congénères.
Plusieurs études ont montré qu’un mammifère peut préférer le contact social sur l’accès à la nourriture s’il doit choisir, ce qui montre la position et l’importance que prend le contact social pour des espèces extrêmement sociales comme le cheval. Peut-on changer le logement en box individuel ? Si ce n’est pas réaliste quel autre moyen pour répondre à son besoin de contact social ? Comment créer des lieux de rencontres entre équidés qui ont des liens d’amitié, comment enrichir la relation avec l’humain ? Comment enrichir la vie de l’équidé de manière pragmatique selon le contexte?
5 Ne pas éprouver de peur ou de détresse – conditions et pratiques n’induisant pas de souffrances psychologiques.
Ce dernier point m’intéresse tout particulièrement. Ici se posent les questions de savoir par exemple : comment développer un lien positif et fort avec le cheval ? Comment la gestion des équidés peut impacter notre relation avec lui ? Peut-on réduire le nombre d’accidents (chutes, morsures, coups de sabot, ruades etc.) en améliorant la relation du cheval avec son cavalier ? Y-a-il un effet sur la progression du travail de l’équidé si sa relation avec son cavalier s’améliore ? Par quel biais réduire l’anxiété et l’hypervigilence de l’équidé ? Comment développer sa présence et ses capacités d’observation face à l’équidé, pour mieux comprendre son état affectif et son comportement ? Comment évaluer la qualité de la relation entre un cavalier / propriétaire et son cheval, quels sont les critères? Il y a un grand besoin de comprendre comment mieux interagir avec l’équidé, pour lui donner un sentiment de sécurité et de bien-être et pour améliorer la sécurité des humains qui travaillent avec lui.
source image: IFCE
II Facteurs individuels de bien-être psychique
Voici la liste complété de quelques exemples rapides, pour illustrer pourquoi ces facteurs concernent le niveau « individuel » de bien-être psychique: chaque cheval est différent en ce qui concerne ces facteurs
- Sécurité
Par exemple, sur un pré près d’un aérodrome, un cheval peut ne pas montrer de réaction de stress, un autre va passer une bonne partie de sa journée la tête haute, expression d’une certaine hypervigilance, face aux bruits etc. Un cheval peut se sentir en sécurité à côté d’un seul cheval, à côté de plusieurs ou de nombreux chevaux
- Contrôle et choix
Un cheval peut être bien traité en général sans qu’on lui donne beaucoup de choix dans sa vie. Il peut s’être adapté au fait que d’autres décident pour lui – ou pas. Par exemple, un cheval peut ne pas avoir de problème avec le fait d’avoir posé un licol et d’être amené ailleurs. Un autre peut vivre un certain inconfort à l’approche du licol. Une situation de stress ou de trauma peut augmenter le besoin de contrôle.
- Capacité et ressources pour gérer les situations / évènements négatifs
Par exemple, certains chevaux ne montrent aucune réaction en présence d’un chien qui aboie, d’autres deviennent très difficiles à gérer.
- Prévisibilité et stabilité suffisantes
Pour certains chevaux un petit changement dans leur routines et habitudes suffit pour les déstabiliser, auquel cas on va regarder si le cheval a subi un grand nombre de changements dans sa vie récente ou pas (changement de lieu de vie, de compagnon, de propriétaire etc.)
- Espace de vie suffisant
Ce qui est suffisant peut différer selon le cheval: un cheval sauvage aura d’autres besoin qu’un cheval qui a grandi sur un petit pré, qui aura d’autres besoin qu’un cheval qui a passé la majeure partie de sa vie en box. Un cheval va se sentir bien dans son corps que s’il est sur un pré, un autre va être tellement agacé par les mouches certaines périodes de l’année, qu’il peut préférer être quelques heures par jour à l’intérieur, dans un box
- Stimulation mentale
Quantité et qualité de ce qui constitue un bon niveau de stimulation dépend aussi de l’individu, un peu comme chez l’humain. Chez le cheval aussi on rencontre une très grande variabilité individuelle. Un jeune cheval a en général besoin de plus de stimulation qu’un cheval plus âgé, un hongre plus qu’une jument, mais la diversité individuelle est très grande et ne dépend pas vraiment ni de l’âge ni du sexe.
- Relations sociales
Certains chevaux se sentent bien avec un seul autre équidé et peuvent être stressés, au moins une période de leur vie par la présence d’autres équidés. D’autres aiment vivre en groupe – harmonieux – plus grand, mais l’absence de relation va impacter négativement le cheval dans tous les cas. Est-ce qu’il y a du conflit dans le groupe, du « ressource guarding » (le cheval peut-il manger et boire tranquillement? etc.), est-ce que le cheval est exclu du groupe?
- Bien-être physique
Si le bien-être du cheval n’est pas bon, il faut faire intervenir le vétérinaire, le maréchal etc. pour éliminer la possibilité qu’un problème physique est à l’origine. De même, certains chevaux s’adaptent mieux que d’autres à un travail « biomécaniquement coercitif », du matériel restrictif etc.
Ressources
Video de Dr. Sue Dyson, à partir de 52:00 sur la vie en box Horses and the science of harmony
Sur les facteurs individuels de bien-être (entre autre): Applied Equine Psychology (2024, Felicity George et al.)
Reconnaître et soigner la dépression chez l’équidé
Body work as treatment for equine depression
Equine Fascia & Trauma Release | Le rôle des fascias dans la santé psychique et physique (en français)
Ressources IFCE bien-être équin: Equipédia Bien-être équin | formation bien-être équin | application mesurer le bien-être équin
Chaire Bien-être animal: Comment définir le bien-être animal?
En anglais, de très belles ressources sur le site et la chaîne youtube de World Horse Welfare: webinars (videos) | documents écrits
Un récapitulatif sur les méthodes d’entraînement (Fernandez, 2024) The least inhibitive, functionally effective (LIFE) model: A new framework for ethical animal training practices
World Horse Welfare Conference 2024 – ‘What is a good life for a horse?’ extrait: